— English version downloadable below —
Le 17 mai 2024, Gloria Sengha, activiste politique et initiatrice du mouvement « Tolembi Pasi » était enlevée aux côtés de deux autres militants, Robert Bunda et Chadrack Tshadio[1]. Loin d’être un cas isolé, cette arrestation arbitraire s’ajoute à la longue liste d’actions liberticides, souvent violentes[2] et accompagnées d’actes de torture[3], menées contre la société civile depuis le début de l’année en République Démocratique du Congo (RDC). Qu’il s’agisse d’opposants politiques, de journalistes[4], ou de défenseurs des droits humains[5] (DDHs), tous et toutes paient le prix d’un durcissement du régime.
La nette augmentation des cas de violences et d’agressions à l’encontre de celles et ceux qui osent contester le pouvoir en place confirme l’instauration d’un climat hostile à l’exercice des libertés fondamentales en RDC. De nombreuses atteintes portées au droit de manifester, de se réunir ou tout simplement de s’exprimer impactent chaque jour davantage le travail de la société civile qui joue pourtant un rôle essentiel de défense et de protection des libertés fondamentales. Illustration frappante lorsque le 17 avril dernier, une dizaine de militants sont arbitrairement arrêtés et détenus alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Goma contre l’insécurité[6]. Ces actions répressives s’accompagnent de développements législatifs inquiétants. La loi nationale pour la protection des DDHs adoptée en juin 2023 comporte de nombreux articles qui restreignent significativement leurs activités[7]. Les ambitions du nouveau ministre de la Justice, Constant Mutamba, de criminaliser la communauté LGBTIQ+ sont également observées avec appréhension[8].
La période électorale a facilité la mise en place d’un système d’encadrement strict des libertés civiques. De graves violations des droits humains à l’encontre des voix dissidentes avant et pendant le scrutin ont suscité des interrogations quant à la légitimité de ces élections. Maintenant qu’un nouveau gouvernement est finalement en place, la société civile peut légitimement se demander jusqu’où s’étendra cette répression. Cette question est d’autant plus valide que le contexte sécuritaire et économique du pays ne cesse de se dégrader. Argument politique de poids, le conflit à l’Est a régulièrement été invoqué par le régime afin de légitimer la censure de tout individu soupçonné de collaboration avec « l’ennemi ». L’instrumentalisation politique du contexte sécuritaire est telle que le régime n’hésite plus à s’attaquer aux figures les plus sacrées des institutions[9].
Dans ce contexte, la levée du moratoire sur la peine de mort annoncée par le Président Tshisekedi inquiète sérieusement la société civile locale et internationale. En ciblant le droit à la vie consacré par l’article 61 de la Constitution congolaise, cette décision représente non seulement un net recul en matière de droits humains mais pose également le risque d’une intensification de la répression contre les voix critiques. Dans un pays à l’appareil judiciaire profondément dysfonctionnel, le rétablissement de la peine de mort ouvre la voie à des exécutions sommaires justifiées au nom de la sureté d’État.
Face à ces développements mettant son existence en péril, la société civile congolaise se voit contrainte au silence ou à l’exil, à l’image de Mino Bopomi et Palmer Kabeya. Ces deux militants du mouvement citoyen Filimbi ont dû fuir leur pays en raison d’un climat politique de plus en plus hostile. Depuis l’étranger, ils continuent à lutter pour l’amélioration du quotidien de la population congolaise tout en revendiquant le devoir de transparence et de responsabilité des autorités publiques.
Les membres du réseau Europe-Afrique centrale (EurAc) tiennent à insister sur l’importance cruciale pour chaque gouvernement de créer les conditions nécessaires à la mise en place – et au renforcement – d’un environnement favorable à la défense des droits humains, caractérisé notamment par le libre exercice du droit d’expression. L’existence de voix contestataires et leur prise en compte par l’ensemble des acteurs étatiques sont des caractéristiques indissociables de toute société démocratique. Elles sont également le signe d’une société civile dynamique et pluraliste, capable de tenir les institutions responsables de leurs actions et décisions.
Parce que l’action de s’exprimer contre les actions du gouvernement ne devrait pas être considéré comme un crime, EurAc tient à alerter l’Union Européenne (UE) et ses États membres sur ce rétrécissement toujours plus inquiétant de l’espace civique en RDC. La liberté d’expression constitue l’un des 30 droits et libertés fondamentaux énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. En tant que pays signataire, la RDC a manifesté sa volonté de garantir et protéger ces principes sans discrimination. Similairement et parce qu’elle est fondée sur des valeurs de respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux, l’UE et ses Etats membres ont la responsabilité d’endosser un rôle d’alerte et de soutien aux libertés humaines dans la mise en œuvre de leur politique extérieure. En exploitant les instruments à sa disposition, l’UE doit systématiquement dénoncer et sanctionner les comportements mettant en péril ces principes tout en soutenant les efforts locaux visant la préservation de l’espace civique. Plus concrètement, elle se doit d’user de son poids politique et diplomatique afin de :
- Engager des dialogues politiques avec le gouvernement congolais pour plaider en faveur de la protection des DDHs et soulever des cas individuels emblématiques tels que celui de Gloria Sengha (Envol) ou de Mino Bopomi et Palmer Kabeya (Filimbi), tous deux contraints à l’exil.
- Renforcer le soutien à la société civile congolaise dans son rôle crucial de défenseur des droits humains et des libertés publiques et faire de sa protection une priorité. Cela passe par un renforcement des financements au niveau européen dédié au soutien et à la protection des DDHs mais également par la mise en place de procédures simplifiées d’obtention de visas pour les défenseurs les plus à risque.
- Continuer à exhorter le gouvernement congolais à reconsidérer la levée du moratoire sur la peine de mort qui met en péril le travail des DDHs et va à l’encontre des obligations de l’Etat congolais en matière de protection des droits humains.
- Soutenir le gouvernement congolais dans la mise en œuvre d’un dialogue inclusif et structuré avec la société civile sur les questions de protection de l’espace civique et des droits humains, notamment en vue de la révision de la loi relative à la protection des DDH.
Le réseau Europe-Afrique centrale (EurAc) créé en 2003 regroupe 33 organisations non-gouvernementales actives en Afrique centrale, avec un focus particulier sur la région des Grands Lacs. EurAc mène un travail de plaidoyer en faveur d’un engagement fort, cohérent et durable de la part de l’Union Européenne et de ses Etats membres afin d’aider la région à construire un avenir meilleur.
[1] RDC : la voix des sans voix exige la libération de l’activiste Gloria Sengha, Infos.cd, 22 mai 2024
[2] Violences à l’ANR en RDC, Actualite.CD, 7 février 2024
[3] En RDC, les services secrets accusés de pratiques violentes, Deutsche Welle, 9 novembre 2023
[4] Goma : AFEM condamne l’agression de la journaliste Yvonne Kapinga, Mamaradio, 18 juin 2024
[5] Exigez la libération du militant King Mwamisyo, Amnesty International (AI), 24 avril 2023
[6] En RDC, vague d’arrestations à Goma avant une manifestation contre l’insécurité, Jeune Afrique, 18 avril 2024
[7] Loi nationale de la RDC : défis et opportunités, Protection International, 30 novembre 2023
[8] RD Congo : le ministre de la justice veut réprimer l’homosexualité sans attendre la promulgation d’une loi, 76crimes, 16 juin 2024
[9] RDC : le cardinal Ambongo visé par une enquête pour « propos séditieux », Africanews, 6 mai 2024